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Le 27 avril 2018

            Chère maman,

 Je suis tellement désolée... Tu sais que je ne l'ai pas fait exprès hein ?

 Sur le parquet ressort une forme plus foncée que le reste des lattes de bois, c'est ici que, plus tôt dans la journée, le flacon s'est cassé et a libéré son contenu. Ton parfum s'est propagé partout, tout comme son odeur.

    A l'enterrement, je n'ai pas pleuré. Je n'ai pas trouvé de raisons valables pour le faire. Ce départ n'a rien changé à ma vie... Alors pourquoi ai-je l'impression, aujourd'hui, que ce sont mes larmes qui ont taché le sol ?
Ma douce maman, je te demande pardon.

    Quand j'ai vu la flaque, j'ai machinalement ramassé chacun des gros éclats de verre puis je me suis agenouillée, sans même en avoir conscience. En essayant de réunir les minuscules morceaux, l'un d'eux est entré dans mon doigt, c'est à ce moment que j'ai réalisé. Une première perle est apparue sur mon visage, elle s'est élancée de mes yeux jusqu'au sol, ne laissant derrière elle qu'une fine ligne me balafrant la joue.

    Ce parfum était à la framboise, avec un léger soupçon de violette. C'est étrange, maman, jusqu'à aujourd'hui, je ne sentais que le fruit, à présent c'est l'odeur de la fleur qui me hante.
    Grâce à ce flacon, je parvenais à me souvenir de ton visage. Le matin, je pouvais entrevoir quelques douces régions du Sud juste en m’en imprégnant. Tout était plus intense avec lui, absolument tout.

Et cette étiquette rose... Une couleur ignoble, et pourtant, je la regardais parfois pour le simple plaisir de la voir nichée sur le petit récipient de verre.

    Tandis que je ramassais toujours les minuscules éclats, le téléphone s'est mis à sonner, cinq fois. Pourquoi lorsqu'une tâche nous parait essentielle, faut-il que l'on soit constamment interrompu ? Je ne sais même pas si j'ai réussi à tous les avoir, ces petits bouts de verre... Peut-être l'un d'eux me coupera le pied dans quelques mois, et alors je retrouverai cette odeur fruitée. Selon toi maman, la douleur que je ressentirai alors, me rendra t-elle heureuse ? Je t'avoue ne pas le savoir moi-même.

    Je me suis toujours demandé, Maman, pourquoi m'as-tu offert ce parfum ? C'est la seule chose que tu ne m'aies jamais offerte, comment savais-tu que j'aimais les fruits rouges ?
Cette même odeur qui devait se répandre dans l'air, pourtant, je ne percevais que la violette. Encore et toujours cette fleur. Je n'ai jamais aimé cela, les fleurs. Elles fanent si vite... Et l'odeur des roses est infecte. Pourquoi offrir quelque chose qui dépérit à vue d’œil ? Pour rappeler à l'être aimé que sa propre vie est éphémère ? Quelle douce poésie...
Je n'ai jamais vraiment compris cette coutume, comme je n'ai jamais vraiment compris mes contemporains. Nous sommes trop différents.
 

    J'aurais aimé ouvrir la fenêtre, dégager le parfum entêtant, mais il faisait si froid dehors, et j'avais peur que mes derniers souvenirs de toi s'envolent avec l'odeur.

    Maman, pourquoi suis-je la seule qui n'ai pas eu ton amour ? J'ai découvert ton visage à l'enterrement. Tu ne m'as jamais adressé un mot, une lettre, un regard... Je me souviendrais toujours de tes cheveux d'or. Ils se répandaient sur tes fines épaules et descendaient jusque sous ta poitrine. Tu étais si belle dans ta robe blanche... Nous aurions pu être jumelles tant je te ressemblais, tu m'as paru si jeune, si calme. Ton visage à lui seul faisait toute ta beauté, une beauté intemporelle.
On m'a dit que tous tes meubles, tes robes et ton argent ont été donnés à des associations. Tout, sauf ce parfum

    Ce petit liquide qui a entaché les fines lattes de mon parquet. Celui dont l'odeur me hantera cette nuit et qui sait pour combien d'autres encore... Tu sais maman que ce n'est pas ma faute, c'est le chat. Comment aurais-je pu savoir que cela arriverait ? Je ne pouvais pas... Alors, pourquoi je m'en voulais ? Pourquoi pleurais-je sur les éclats tranchants du petit flacon ?
Bien sûr, je pouvais retrouver ce parfum. J'aurais pu le racheter, mais ça n'aurait pas été celui que tu m'a offert, celui que tu as tenu entre tes doigts si fins.
Une dernière fois, juste une dernière fois avant de les jeter, j'ai regardé les éclats qui s'empilaient dans ma paume. Au milieu des fragments de verre, j'ai trouvé une feuille collé au dessous. Quatre mots balafraient le blanc du papier.
Ces quatre mots que je n'oublierai jamais.
 
    J'ai senti de nouvelles larmes perler à mes yeux, mais celles-là étaient des larmes de joies. J'étais certaine jusqu'alors que tu ne connaissais pas même mon prénom. Mais, je suis sûre à présent qu’au moins une fois, tu as pensé à moi.
En cet instant, j'étais heureuse de sentir ce doux parfum de violette car moi aussi maman. Oui, moi aussi, je t'aime.