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Ce soir-là, John B. était sorti de son appartement sans aucune raison particulière. La veille, il s’était pourtant querellé avec Marlon B., son père, qui lui avait asséné une gifle. Même si sa joue était encore marquée, ce n’était pas pour cette raison, pensait-il, qu’il avait ressenti le besoin de sortir. Il déambula jusqu’au centre-ville, où il rencontra Willy G. qui venait de quitter leurs copains au Bleu Lézard. Il continua donc vers la Rue Enning, mais en chemin, il s’engouffra dans un autre bar, L’Oasis, dont quelques minutes plus tôt, il ignorait l’existence.

La lumière était blafarde. Il se dégageait une odeur de renfermé. Un seul client, un homme dans la soixantaine, ivre, était accoudé au zinc, tandis que le barman, cheveux grisonnants, mince comme un bouleau, se curait les narines avec l’ongle de son auriculaire. L’atmosphère de ce bar n’était pas rassurante. Pourtant, John B. n’eut pas le réflexe de s’enfuir. Au contraire, il commanda une bière au serveur, qui revint bientôt.

– Laquelle choisissez-vous ?

John B. ne comprit pas. L’employé s’éclaircit la gorge.

– Dans une chope, il y a la Normale, et dans l’autre la Paradise, une spécialité de la maison. Par contre, je ne vous dirai pas laquelle est la Normale et laquelle est la Paradise. C’est à vous de choisir, en toute liberté.

À l’aveugle, John B. pointa la bière que le barman tenait dans sa main gauche. Il devait visiblement avoir très soif, car il vida la chope d’une traite. Peu après, il eut envie de pisser. Il suivit donc l’enseigne des toilettes qui clignotait au fond de la salle.

À peine ouvrit-il la porte qu’il fut accueilli par un noir de 2m05, massif comme une armoire.

– Bienvenu dans le véritable monde !

Il eut peur. Il avait dû choisir la bière Paradise, la spécialité de la maison. Avec quels ingrédients avait-elle été fabriquée, se demanda t-il. Il pensa un temps à prendre ses jambes à son cou, mais il ne put résister aux attraits de ce nouvel univers, car il se laissa entraîner, par un trio de mâles beaux et sensuels, dans une salle circulaire, recouverte de miroirs du sol au plafond. On aurait dit qu’il était entré dans un labyrinthe qui n’avait ni haut ni bas, ni devant ni derrière. Le lieu était bondé de gens qui dansaient sur une musique chaude et entrainante, qu’il n’avait jamais entendue et qui le prenait aux tripes, accélérant le battement de son cœur. Ils étaient tous libérés de quelque chose, ces gens, ils n’avaient plus d’inhibitions. Des mâles allaient avec des mâles, des femelles avec des femelles, à deux ou à plusieurs, se livraient à l’amour sous les yeux des autres, et cela ne choquait personne, ou ne suscitait pas des regards lubriques. D’ailleurs, il n’allait pas croire ses yeux lorsqu’il reconnut la silhouette grassouillette de son père, Marlon B., qui embrassait langoureusement un latino svelte comme un roseau, d’une beauté crépusculaire. Il sentit monter en lui quelque chose qui pouvait être de la rage ou de la jalousie.

Tout à coup, une femelle grande, blonde aux yeux gris qui semblaient lancer des éclairs, l’enlaça à la taille et planta son regard dans le sien.

– Tu n’y crois pas, n’est-ce pas ? Et pourtant tout ici est réel. Tu es dans le véritable monde. Alors, arrête de te poser des questions et savoure.

Sur ce, elle l’embrassa goulument, ses lèvres avaient le goût du dessert pomme cannelle, que John B. avait mangé le soir même. Écoutant le conseil de la femelle blonde, il décida de vivre et de ne plus se poser de questions. Alors il but tous les verres qui se présentèrent à lui, il embrassa toutes les lèvres qui approchèrent des siennes, il dansa avec une aisance qui le surprit le premier. Soudain, il se sentit bien. Il était habité par la joie de vivre dont il ignorait jusqu’à présent la vibration. Mais, celle-ci était incomplète, car il était irrésistiblement attiré par le beau latino qui s’amusait avec son père. Quand il s’approcha d’eux, il fut surpris de constater que Marlon B., d’un naturel colérique, le laissa se frotter contre le latino, qui s’appelait Angel, sans faire de vague. Il passa toute la soirée avec Angel à consommer les fruits de l’amour. Il ne se serait pas cru attiré par un mâle, lui qui vouait pourtant une haine farouche aux homosexuels. Or, il se trouvait à présent dans les bras d’Angel, beau comme un dieu païen, et sa joie était complète, enfin.

À l’aube, Marlon B. les retrouva dans un coin où ils s’étaient isolés, et tira Angel contre lui, l’embrassant avec fougue. D’abord amusé, John B. fut très vite envahi par la jalousie, qui accéléra la circulation de son sang. Il avait le sentiment qu’on lui enlevait une partie de lui-même. Alors, il bondit sur le cou de son géniteur. Ils se retrouvèrent à terre, Marlon B. suffocant, les yeux révulsés. D’instinct, ce dernier attrapa une bouteille qui traînait au sol et la fracassa sur le crâne de son fils.

Quelques heures plus tard, John B. se réveilla avec un affreux mal de tête. Son père se trouvait à ses côtés. Le voyant paniquer, il le rassura très vite.

– Tu es au CHUV. On s’occupe très bien de toi. Tu n’as rien à craindre.

– Que s’est-il passé ? demanda-t-il, se redressant sur les coudes.

– Maintenant, c’est sans importance, repose-toi. C’est le Docteur qui l’a dit.

Au même instant, on toqua à la porte.

– Bonjour, je suis Angel, votre médecin, et je suis content de voir que vous vous êtes éveillé. Par contre, vous êtes encore faible, et je vous conseille de ne pas trop vous agiter.

Alors John B. reposa la tête sur son oreiller et jeta des yeux hagards par la fenêtre. Que s’était-il donc passé la nuit dernière ? Au loin, les Alpes scintillaient derrière un léger voile de brume, qui s’élevait au-dessus du Léman, bleu.