Dossier Isabelle Aupy - Juin 2019 Ecrit par Isabelle Aupy

Catégorie: Interviews  /  Créé(e): 29.06.19 12:57:02  /  Modifié(e): 15.08.19 08:17:57

Questions du comité de lecture

La femme est décrite comme une personne forte, bénéficiant d’un statut priviligié. Elle se décrit elle-même comme « une lionne capable d’arracher les yeux de n’importe qui ». Comment expliquez-vous son extrême fragilité et son incapacité à exprimer de la colère envers l’homme qui a abusé de son état d’ivresse ?

- Selon moi, la réaction que vous décrivez serait synonyme de reconnaissance du statut de victime, c’est justement ce qu’elle rejette, très fortement, si fortement qu’une certaine honte se mêle à ses sentiments, comme le sentiment de culpabilité. Cela arrive souvent dans les cas de viol sans violence, la victime se sent coupable de ce qui lui est arrivé, comme si elle avait permis que cela se produise. Une ambivalence de sentiments qui a longtemps empêché la dénonciation des violeurs. Le personnage féminin est en effet un personnage très fort qui s’est retrouvé en position de faiblesse, elle refuse cela. Elle aurait, je pense, manifesté de la colère ou de l’agressivité au moment des faits si elle avait pu. Après il y a un trop tard qui engendre un « à quoi bon ». La volonté de se tenir aussi au-dessus de ça pour mieux s’en protéger sans doute.

La victime de ce viol pourrait-elle dénoncer son abuseur  à la police ?

- Malheureusement, je ne le pense pas, pour la même raison expliquée plus haut : un statut de victime qu’elle se refuse, parce qu’elle l’a déjà endossé.

Il y a dans ce cas une parole contre une autre et aucune opposition. C’est un viol par absence de consentement car il y avait impossibilité de consentir comme impossibilité de dire « non ». C’est difficile à prouver, difficile à défendre, et qui expose à une image que la société renvoie et qu’elle ne veut ni subir, ni montrer : l’idée qu’elle l’aurait cherché. Encore beaucoup de personnes et même des femmes peuvent tenir ce genre de propos vis-à-vis d’autres femmes se faisant abuser lors de soirées.

Selon vous, pourquoi certains hommes ont-ils cette tendance quasi animale à abuser de la faiblesse des femmes ?

- Parce qu’ils le peuvent. Je ne pense pas qu’il s’agisse d’un archétype de prédation homme/femme, je ne crois pas à cela, pas dans ce cas. Je crois en un comportement individuel que l’on retrouve aussi bien chez les hommes que les femmes et qui consiste à se permettre des choses juste parce qu’on le peut. Ce que les individus se permettent quand ils le peuvent est absolument édifiant. Et ceci se retrouve dans toutes les sphères et sur différents niveau de gravité et donc de médiocrité.

Ici, Lui est dans l’ambivalence de désirs « amoureux » et de rancœur face à l’indifférence, il entre dans la prédation juste parce qu’il la veut, il veut la posséder, et lorsqu’avant elle se refusait à lui, il profite du moment où elle ne se refuse pas. Mais je pense que pour Lui, de son point de vue, il n’y a pas eu viol et c’est ça qui est édifiant, autant que terrible. Un autre homme que Lui aurait sûrement dormi sur le canapé et tout aurait été différent.

Ces phénomènes de pouvoir se retrouve partout, au travail, dans la file d’attente des courses, dans les transports en commun, dans les familles, sans que cela attente forcément à la sexualité, mais au fait de jouir du pouvoir que les autres nous accordent et nous donnent alors qu’eux-mêmes le subissent.

Je ne vois donc aucune animalité là-dedans, mais bien une part sombre de notre humanité. Quand rien n’est empêché, tout devient possible et dans ce tout il y a du dégueulasse. Cela me fait penser à la performance de Marina Abramovic. Mais dans cette performance où pendant six heures elle laissait le public user de son corps avec les objets mis à disposition, il est bon de rappeler que si certain sont allé jusqu’à la dénuder pour leurs obscénités, si certains (hommes et femmes) sont allés jusqu’à marquer son corps de blessure ou pointer une arme sur elle, d’autres se sont interposés, d’autres (hommes et femmes) ont défendu de leur corps et de leur parole le respect de cette femme et de l’individu au sens plus large du terme.

Nous ne naissons pas tous égaux en terme d’empathie.

Quelle est votre position concernant les mouvements féministes ?

- Je ne m’y reconnais pas. Pas dans ceux d’aujourd’hui. Dans les anciens oui. Le féminisme de Beauvoir avait bien plus d’intelligence que celui d’aujourd’hui, il avait l’intelligence de la fraternité, de l’humanité.

Quelles sont vos auteures de référence ?

Dur à dire tant je me nourris de notre patrimoine littéraire en général, tant j’ai su tirer de chacun des notions et des idées qui me sont chères en terme d’écriture.

Quelle(s) musique(s) accompagnerai(en)t le mieux vo(tre)s texte(s)?

- Aucune si ce n’est celle du corps.

Les questions de la Revue des Citoyens des Lettres et celles chipées à Proust et Pivot

Quel est votre occupation préférée ?

- Prendre mon temps.

Quelle est la qualité que vous préférez chez une femme ?

- Pourquoi diantre chez une femme seulement ? Je dirai donc de ne pas se réduire à cela, une femme, comme de l’être tout entier.

Quel est le métier que vous n'auriez pas aimé faire et pourquoi ?

- Politicien. Trop d’injonction paradoxales qui entraînent forcément leur lot d’imposture.

Pourquoi écrivez-vous ?

- Pour mieux voir.

Quel est le mot que vous détestez ?

- Je ne déteste aucun mot, seulement l’usage que l’on en fait. Alors je dirais « salope », parce qu’il ne veut rien dire, qu’il a le sens des frustrations de celui ou celle qui le prononce et rien d’autre, qu’il ne sert qu’à cracher sa haine de soi sur l’autre qui ose se permettre ce qu’on se refuse.

J’aimerais qu’un jour, ce mot claque comme la peau de deux amants peut claquer l’une contre l’autre, qu’il prenne une sensualité, un érotisme qui lui reviendrait de droit. J’aimerais qu’il se pare de cette audace d’oser jouir de son corps comme on l’entend, d’aimer s’ouvrir et se donner, d’aimer prendre comme offrir. J’aimerais qu’il sonne de tout cela et qu’on puisse le masculiniser pour permettre aux hommes aussi de jouir de s’offrir à l’autre.