Dossier Héloïse Pocry - Décembre 2018 Ecrit par Héloïse Pocry

Catégorie: Interviews  /  Créé(e): 17.12.18 21:19:33  /  Modifié(e): 17.12.18 22:01:22

Questions du comité de lecture

Le personnage de Taddeo qui est un homme, est doté d'une sensibilité toute féminine, comment est né Taddeo ?

Taddeo est né dans une période où je m’interrogeais sur l’hypersensibilité et les implications qu’elle a sur la définition de l’identité d’un individu, ainsi que sur les interactions de cet individu avec le monde. Comment apprivoiser l’hypersensibilité, que l’on préfère souvent masquer dans une société qui ne la valorise pas du tout, et comment en faire une force plutôt qu’un handicap ? « Architexture » constitue les prémices de cette recherche. Je ne pense pas que la sensibilité décrite dans ce texte soit intrinsèquement plus féminine que masculine. Il est cependant vrai que les conventions sociales, et par là l’expression de soi, restent encore très genrées. C’est d’ailleurs une des raisons qui m’a incitée à faire du personnage principal un homme plutôt qu’une femme, en défi aux conventions.

On dit qu'un homme devient un homme le jour où meurt son père, est-ce de la difficulté possible de cette étape de vie que vous avez souhaité traiter dans votre texte ?

Dans ce texte, il y a la mort du père, la vieillesse de la mère, le déménagement de la maison d’enfance, mais le déclencheur de l’histoire aurait pu être tout autre chose. De nombreux types d’évènements sont capables d’ébranler une vie, de pousser à la relire autrement depuis le début, à l’aune d’un nouvel élément, d’un détail parfois. Ce qui m’intéressait, bien plus que de parler du deuil, était d’observer comment le corps prend parfois le dessus sur l’esprit dans certaines situations traumatiques et d’étudier ce que ce processus révèle à la personne, sur la personne. J’étais notamment inspirée par une phrase que j’avais lue sur internet : « Tu subis ou tu sublimes. ».

En vous lisant on a le sentiment que vous inventez vos propres mots, par exemple : "des flips-flops qui flappent", que représente l'écriture pour vous ?

L’écriture représente infiniment de choses pour moi, mais avant tout : la liberté. J’ai le sentiment que de choisir les mots les plus justes possible pour écrire un monde fictionnel transforme un peu le monde réel, lui donne un supplément de réalité, en quelque sorte. Et quel supplément ! Celui que je choisis librement. Parfois, il me manque le mot le plus juste et je me permets donc de l’inventer. Quand les enfants jouent, il suffit qu’ils s’imaginent naviguer sur l’océan pour qu’une simple bassine remplie d’eau devienne l’océan. L’écriture possède pour moi cette magie-là : il suffit d’écrire pour faire exister, pour faire exister plus fort.

On note chez Taddeo une fixation dans le passé, dans son enfance qui n’a pas été forcément tendre avec lui, perdant par la même occasion la réalité du moment, quel est votre rapport au temps ?

La fixation de Taddeo dans le passé est transitoire et constitue le facteur déclenchant d’une nouvelle présence à lui-même et au monde, une hyperprésence qui le submerge totalement. Mon rapport au temps est parfois aussi complexe que celui de Taddeo. Ou plutôt : mon rapport à la réalité. Je suis très attentive aux distorsions de temps, d’espace, de matérialité que l’on peut ressentir, notamment en présence de certaines personnes ou en faisant certaines choses. De nos jours, le temps est un luxe. Se sentir entièrement présent au réel également. Il y a des impondérables qui nous empêchent d’y accéder, bien sûr. Mais je suis convaincue que ce luxe est avant tout un choix de vie. L’écriture est essentielle dans mon choix personnel : l’hyperprésence qui se déploie en écrivant est un délice, un privilège que je ne sacrifierais pour rien au monde.

Que lisez-vous en ce moment ?

L’« Éloge du risque » d’Anne Dufourmantelle, entre autres.

 

Quelle(s) musique(s) accompagnerai(en)t le mieux vo(tre)s texte(s)?

La musique de la nature. Le chant des oiseaux, du vent, de l’eau…

 

Les questions de la Revue des Citoyens des Lettres chipées à Proust et Pivot

 

Votre mot préféré ?

C'est une question diablement difficile, car j'ai une ribambelle de mots préférés. J'en ai d'ailleurs rassemblé quelques uns dans cet article publié sur mon site internet: https://lemancolie.ch/parceque-mots/. En ce moment, je mettrais bien en avant le mot AMOUR, pour toutes ses significations et implications, mais aussi pour sa sonorité qui commence par une grande ouverture sur le monde pour se terminer dans un câlin plein de chaleur.

La qualité que vous préférez chez un homme ?

La douceur. En pensant notamment à la "Puissance de la douceur" d'Anne Dufourmantelle, lecture récente et transcendante.

Vos auteurs favoris en prose ?

C'est également une question délicate et ma réponse ne peut être que circonstancielle, car la liste de mes auteurs favoris s'enrichit au fil du temps. À ce sujet également, j'ai publié une liste sur mon site internet: https://lemancolie.ch/encore-une-page/. Je citerais aujourd'hui Siri Hustvedt, dont le livre "What I loved" fut la grande révélation littéraire de mes 20 ans, et Anne Dufourmantelle, que j'ai lue pour la première fois il y a quelques mois et que je ne me lasse pas de découvrir.

Etat présent de votre esprit ?

Je me trouve dans une phase de renouveau et je fourmille de projets pour l'année 2019. En bref, je suis dans un état d'esprit des plus enthousiastes!

Quel serait votre plus grand malheur ?

Le plus grand malheur auquel je puisse penser actuellement serait de perdre l'AMOUR.