Dossier Timba Bema - Mars 2017 Ecrit par Timba Bema

Catégorie: Interviews  /  Créé(e): 24.03.17 15:02:55  /  Modifié(e): 23.04.17 14:53:57

Interview

 

D'où vous est venue l’idée d’écrire ce texte ? 

De manière générale, j’ai eu envie à travers ce texte d’explorer la question du préjugé. Le personnage principal, qui est aussi le narrrateur, essaie d’extraire sa pensée des préjugés ambiants, mais il est abusé à la fin par un inconnu qui lui demande l'aumône. Ce qui tendrait à justifier le bien-fondé de ceux-ci. Mais l'allons pas vite en besogne. De façon plus précise il s’est agi pour moi de questionner l’esprit camerounais contemporain dans sa capacité d’ouverture à la rencontre avec autrui. Il faut dire que c’est une société qui cultive la peur de l’autre avec des mécanismes pernicieux tels que le tribalisme, l’homophobie, etc. De fait, l’inconnu y est perçu comme potentiellement dangereux. Il est forcément un agresseur, un voleur, un escroc, un sorcier ou un voleur de sexe comme dans la nouvelle. Bref, quelqu’un qui vous veut forcément du mal.

 

Dans l’incipit de votre nouvelle vous citez un poème de Paul Valéry, pourquoi ?

J’ai toujours été fasciné par le poème Les pas de Paul Valéry. Il faut dire que cet attachement remonte à mon adolescence. Ma mère avait conservé un livre de français qu’elle avait utilisé lors de ses études secondaires, livre dans lequel figurait ledit poème. En le lisant, j’avais toujours toujours l’impression d’entendre des pas crépiter sur un sol de marbre. Ce motif est si profondément ancré dans mon imaginaire qu’on le retrouve dans nombreux autres de mes écrits. Le choix de cette strophe est d’abord un hommage à ma mère qui, sans être portée sur la littérature, m’a permis d’assouvir ma soif de lecture grâce aux livres qu’elle avait conservés dans sa bibliothèque composée d’une dizaine d’ouvrages. De plus, je voulais aussi rendre un hommage à Paul Valery dont l’univers a cette particularité d'étancher ma soif de beautés. Enfin, il fait écho à la question que me préoccupait avant de ma lancer dans l'écriture de cette nouvelle à savoir celle de la possibilité d’une rencontre qui ne soit pas bâtie sur des préjugés. Le pas, en d’autres termes, la marche, c’est ce qui rend la relation possible. On parle à juste titre de faire un pas vers l'autre.

 

Dans quelle catégorie classez-vous votre texte ? Est-ce de la science-fiction ?

J’admets volontiers qu’au premier abord que ce texte peut sembler hermétique. Il a aussi un aspect répétitif et poétique. Il ne se donne pas immédiatement à saisir. Mais il est loin de relever du régistre de la science-fiction. Il s’agit plutôt, si je dois lui attribuer une catégorie, d’un texte philosophico-poétique qui interroge la possibilité d’une rencontre au-delà du préjugé. Les hommes marchent. Leurs pas les conduisent à rencontrer d’autres. Or, ces rencontres semblent être faussées dès la départ par des préjugés. Cela est un mystère en soi, qui donne certainement sa teinte à cette nouvelle. Il ne serait pas exagéré de rappeler que le fait même que les hommes marchent est également un mystère. On est tenté de dire que c’était pour voir l’horizon, c’est-à-dire, l’inconnu. Ce bond dans l’évolution de notre espèce signe la croyance en l’avenir, ou du moins l'espérance. Si les hommes, en se mettant à marcher ont produit des civilisations dont nous avons gardé les traces, comment se fait-il par exemple qu’au Cameroun, le pays où se déroule le récit, l’opinion soit plutôt portée à croire que ce qui vient est forcément porteur de mal ?

 

Quelles étaient vos intentions en parlant d’un cœur imaginaire ?

Le cœur est symboliquement le siège des sentiments. Par cœur imaginaire j’entends le siège de notre imaginaire, c’est-à-dire de la pensée sous toutes ses formes. Il réside donc dans le coeur imaginaire de chacun ses désirs de liberté, d’accomplissement, de justice, de bonheur, etc. Mais, puisque ces aspirations trouvent rarement leur satisfaction dans la vie sociale, alors les hommes traînent leur cœur imaginaire comme un boulet, ils essaient de l’enfouir en vain, pour oublier, essayer d’oublier leurs faiblesses, leurs renoncements, leurs défaites. Mais, leurs aspirations résistent à l’enfouissement, les torturent, jusqu’au jour où ils se décident à les écouter et surtout à se construire en harmonie avec eux. Ce rejet des ideaux est flagrant au Cameroun. On dirait que les gens y ont renoncé à vivre selon des valeurs qui leur permettent de se transcender, pour adopter tout ce qui avilit et enlaidit l’homme.

 

Que représente pour vous le bruissement du monde que votre personnage tente de saisir ?

L’idée derrière le bruissement du monde est toute simple. À partir du moment où le personnage principal essaie de se construire au-delà du préjugé, il va de soi que sa perception doit s'élargir aux sonorités qui se cachent dans le bruit dominant. Ainsi, un nouveau monde s’ouvre lorsque qu’on ne perçoit plus avec des préjugés. Alors, osons !

Quelle(s) musique(s) accompagnerai(en)t le mieux vo(tre)s texte(s)?

Pavane pour une princesse de Ravel

Concerto pour un masque de Francis Bebey

Victim de Tom Yom’s

Né ndé wa de Douleur

Njé pè é diya de Nguimè Manulo 

Questionnaire de Proust

Votre rêve de bonheur ?

Consacrer ma vie à la lecture, à l’écriture et, de temps en temps, aux plaisirs de la chair. 

Votre devise ?

Toujours être en mouvement, toujours faire, toujours oser, même lorsque je ne sais pas où je vais, même lorsque les murs paraissent à première vue infranchissables.

Que voudriez-vous être ?

L’artiste que je suis déjà.

Vos auteurs favoris en prose ?

Herman Hesse, William Faulkner et Uwe Johnson

Le don de la nature que vous voudriez avoir ?

Le don d’ubiquité, pour être partout à la fois, et surtout, entendre tout.