Dossier Timba Bema - Juin 2017 Ecrit par Timba Bema

Catégorie: Interviews  /  Créé(e): 04.06.17 20:24:28  /  Modifié(e): 09.06.17 12:46:55

Interview

Comment en êtes-vous arrivé à écrire ce texte ?

D’abord, avec un peu de recul, je dois avouer que l’exploration du rapport père-fils est très récurrente dans mes écrits. Cela est dû, je le crois, au rapport un peu particulier que j’ai eu avec mon propre père. Je ne vais pas bien sûr m’étaler sur le sujet, car voyez-vous, je souhaite rester discret sur cet aspect de ma vie, mais je pense qu’il est tout à fait honnête de le dire. Même si nos rapports ont toujours été appaisés en surface, ils ont été traversés en profondeur par des incompréhensions, suscitées notamment par de nombreux non-dits. Il faut reconnaître que dans la société camerounaise on est très attentif aux bébés, mais pas aux enfants et encore moins aux adolescents. Je ne peux d’ailleurs pas dire que j’ai été traumatisé par ce rapport. La vérité est que je l’ai très vite surmonté dans l’enfance, ce a fait naître en moi le sentiment qu’on ne devient soi-même qu’en rompant son lien avec ses origines. Oui, un homme, pour se réaliser, doit être en mesure de rompre avec ses origines. En termes littéraires, le rapport père-fils traduit chez moi la tension qui peut exister entre appartenance et liberté. Je trouve très intéressant d’explorer cette thématique en long en large et en travers, justement pour éprouver la conception que je me fais de la liberté. Toutefois, je dois avouer que je ne pensais pas immédiatement à mon père ou à nos rapports avant d’écrire cette nouvelle. C’est en cours d’écriture que j’ai réalisé la résurgence de ce thème. Ma préoccupation principale était d’explorer la question du hasard. Que se passe t-il lorsqu’on se laisse conduire par le hasard ? John B. le personnage principal entre dans un bar par hasard, il choisit telle bière plutôt que telle autre par hasard, etc. Aucun conditionnement, en apparence, n’est à l’œuvre. La réponse visiblement est que le hasard conduit au surgissement de l’inconscient. Je me dois de signaler ici que ce sugissement s’est opéré à la fois sur le personnage et sur moi-même en tant qu’auteur.

Que pensez-vous des auteurs comme Stefan Zweig qui, comme vous, s’est intéressé à la problématique de l’homosexualité dans La Confusion des sentiments ?

C’est un très bon exemple que celui de Stefan Zweig. En effet, j’entrevois quelques correspondances entre ma démarche et la sienne. En voici au moins deux. La première est notre perception commune de la littérature, comme devant être centrée sur l’individu, sur sa particularité. L’invididu n’est pas intéressant en ce sens qu’il incarne une idée, mais parce qu’il témoigne de certaines contradictions. D’autre part, si on se penche sur la thématique de l’homosexualité abordée dans La Confusion des sentiments, il faut déjà noter que Zweig laisse entrevoir, en filigrane, son opinion personnelle, en qualifiant l’homosexualité d’ « amour déviant. » Ceci laisse donc penser que, malgré son opinion, qui n’est peut-être pas favorable à ce type de relation, il en investigue tout de même les ressorts, avec une empathie pour les personnages qui me rappelle la camera des frères Dardenne, filmant les acteurs de dos, à hauteur d’épaule.

Quelle représentation avez-vous de vos personnages avant de les impliquer dans votre récit ?

La naissance d’un personnage est quelque chose de difficile à cerner dans le temps. Je veux dire par là qu’au moment où il surgit dans l’esprit, je ne suis pas toujours en mesure de le (re)connaître. Il s’impose simplement comme une évidence. C’est souvent en cours d’écriture que je parviens à constituer sa généalogie. Alors je découvre avec surprise qu’il est une combinaison de plusieurs traits glânés ça et là. L’origine des personnages peut donc être multiple. Je m’amuse souvent à observer les gens dans la rue et à essayer d’imaginer leur histoire. Il arrive aussi que l’écriture entraîne une distorsion du personnage par rapport à sa première apparition. Grosso modo, les contraintes de l’écriture modifient la première idée que je me suis faite du personnage. En règle générale, je donne un peu de ma personne à mes personnages pour leur insuffler le soupçon d’humanité sans quoi ils ne sont que des êtres de papier, des fragments sans vie. Il faut aussi dire que l’antériorité du personnage sur le récit n’est pas toujours établie. Parfois le récit existe avant le personnage n’ait pris corps.

Faire le rêve de se venger satisfait-il le besoin de John B. de se venger de son père ?

On ne peut pas le savoir. Comme on ne peut pas savoir si John B. a été par exemple drogué dans ce bar sordide. Je voulais garder cette incertitude entre le rêve et la réalité. Il m’a semblé que la laisser planer était en accord avec à la problématique du hasard. De la même manière que John B. a choisi à l’aveugle telle ou telle bière, j’invite aussi le lecteur à choisir telle ou telle interprétation. Une seule chose est sûre : l’inconscient de John B. s’est manifesté dans toute sa force. Quant à savoir si cette manifestation a eu lieu dans le rêve ou la réalité, je laisse au lecteur le soin de trancher.

Avez-vous des difficultés à définir votre propre identité en tant qu’individu, homme,  fils ?

Non. Je pense qu’en me posant cette question vous faites référence à l’ambivalence sexuelle de John B. Autant que je me connaisse, je n’ai pas de problème avec mon identité (Je reprends, par souci de simplification, ce terme, même si dans le fond je le récuse). Par contre, l’irruption d’autres identités interroge finalement ce que sont la masculinité et la féminité, et fragilise ces catégories historiques qui sont peut-être appelées à disparaître avec le temps. Cette crainte de la disparition pourrait d’ailleurs expliquer l’hostilité de certains groupes à des identités disons, marginales. Il s’agit aussi pour moi de reconnaître que dans l’inconscient les règles sont complètement bouleversées. Que cela puisse être la manifestation de désirs refoulés n’est que trop évident. Mais il n’est pas sûr que consciemment on veuille franchir le pas. C’est cette confrontation entre conscient et inconscient qui m’intéresse dans le cadre de la fiction. L’un ne témoignant pas de plus de vérité que l’autre, contrairement à ce qu’on serait porté de croire. En effet, l’inconscient peut libérer des forces extraordinaires qui font peur à l’individu, raison pour laquelle il a besoin d’en contrôler le reflux.  

Quelle(s) musique(s) accompagnerai(en)t le mieux vo(tre)s texte(s)?

Essatukh de Mvomo Eko’o Emmanuel

Ton Doubl Fisel (An Daou Vreur) de Loened Fall

Chalabati de Randi Weston African Rythms Quartet avec Les maîtres de la musique Gnawa du Maroc

Colomo Ahou, musique traditionnelle Ahossi

Agbegbe Kounto de Yedenou Adjahoui

Questionnaire de Proust

Quelle est votre occupation préférée en dehors de l’écriture ?

La musique. Je pratique du saxophone et je joue également des percussions.

Comment aimeriez-vous mourir ?

Dans un hamac, à l’ombre d’un arbre, pendant la sieste, l’après-midi, après un bon repas, la mer bruissant au loin, un léger vent me caressant le corps. Surtout, avant de m’endormir, j’aimerais me dire que je ne m’en suis pas trop mal sorti.

Qui sont vos héros de fiction favoris ?

Joseph K., Harry Haller, Faust, Kurtz

Quel est votre état d’esprit actuel ?

Impatient. J’attends. Ce sentiment qui vous ronge de l’intérieur. Je suis un peu comme Joseph K., le héros de Kafka dans le Procès, qui attend devant une porte où il est sensé entrer. Sauf que, contrairement à Joseph K., je multiplie les ruses pour divertir le gardien de la porte, en espérant tromper sa vigilance.

Quel est votre principal défaut ?

Franchise. Il faut reconnaître que pour être bien avec tout le monde il vaudrait mieux ne pas être franc. C’est étonnant comment dire les choses comme elles sont peut susciter autant d’animosités et de rejet chez les autres, surtout si les choses sont très personnels. Mais il se trouve que spontanément je ne donne que très rarement mon avis. Mais, lorsqu’on me le demande, alors je l’exprime pleinement. Cela explique peut-être pourquoi j’écris. Car au final la parole devient un jeu qui évite le vrai, la profondeur des choses. Et pour la retrouver, et surtout la mettre à jour, l’écriture est l’un des meilleurs moyens que les hommes aient pu inventer.