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Les statistiques sont accablantes. Le petit chat est mort. Jusque-là tout va bien. Mon ami Pierre est camionneur. Grand bien lui fasse. Ma cousine Bertha est une folle amoureuse. Qu’à cela ne tienne, je lui présenterai volontiers mon ami Pierre. Mesdames Messieurs, vous êtes les bienvenus. Si vous entendez cette phrase, vous ne remarquerez rien. Mais si vous la lisez avec les yeux, vous verrez qu’au mot bienvenus , il y a comme un hic. Un hic qui choque comme on dit. Ou plutôt qui ne choque que moi dirait-on, car je suis la seule à penser comme ça. Ah bon, vraiment ? Je suis la seule que ça choque ? Attendez voir. Jeanne, Marina, Suzette, et Marie-Claire ont accompagné Paul à la borne de taxi. Au dernier moment, ils ont finalement pris la décision de prendre le bus tous ensemble. Oh my god, ai-je bien entendu ? Ou ai-je l’oreille qui saigne en ce jour du seigneur ? Ils ont tous décidé de prendre le bus ? Cela les regarde, et cela leur fera certainement faire des économies, certes. Mais ce qui me chagrine, c’est que ce tousme hic et me choque de plus belle. Tous ? Mais qui ? Paul ? Oui, pour sûr. Et qui d’autre avec lui ? Jeanne ? Marina ? Suzette ? Marie-Claire ? Me suis-je méprise dans cette affaire ? Jeanne et ses copines auraient-elles toutes changé de sexe depuis notre dernier brunch ? L’oreille continue de me faire mal, mais je ne me désarçonne pas. Il m’en faudra bien plus. Ou peut-être juste une de plus ? Une bourde, une bêtise sans nom, dira t’-on ? Une bagatelle, un détail, peuchère ! Elle est arrivée, la fatale, la grosse, la lourde, l’impardonnable sentence : Marie a gagné le match. Mais le hic qui ne choque personne, c’est qu’elle ne peut l’annoncer à personne. Puisqu’elle ne connait pas le mot qui pourrait la définir dans cette situation précise. Marie se serait appelé Jean-Ed, Yves ou Youssef, elle aurait pu dire qu’elle était le vainqueur de ce tournoi. Mais voilà, Marie n’a pas de pomme dans sa gorge, pas plus qu’elle n’a de mot pour parler d’elle, là maintenant tout de suite, sur le podium. Les journalistes le savent bien, les petits rusés trouvent alors des subterfuges. Marie, 9 ans, la gagnante du tournoi de Bécon sur Yvette, nous confie les secrets de sa victoire ! Donc Marie est contente, fière avec un e, même s’il ne s’entend pas. Mais il lui manque un mot. Le problème, c’est que ni elle ni ses parents ne le savent. Le mot qui leur manque, c’est le mot…vainqurice ? C’est moche ? Non, c’est juste bizarre. Comme tout ce qui est nouveau, non ? Tellement bizarre , qu’il se traîne une petite vaguelette rouge sang sous son corps, ce mot, lorsque je l’écris dans l’Office. L’Office des Mots. Je me demande qui y préside à cet office ? Il serait peut-être temps de réévaluer la compétence de ses membres ? Quel âge ont-ils ? Ces membres masculins… N’ y voyez rien de grivois, je dis membres masculins sans penser à folie puisque ce membre a un passe-droit de taille, il n’existe qu’au masculin. Pourquoi pas ? On parle bien de pomme, de partie, de salade, de jouissance, de pute, et de liberté. Ce qui me fait saigner les orifices de part et d’autres de ma tête de femme pensante, c’est que l’Office ne veut rien entendre. Il va pourtant bien falloir qu’il se confronte aux problèmes de Jeanne, de Marie et de tous les clito sans distinction de naissance et de couleur. Parce que elles, elles vont continuer à pousser la porte du Bureau. Nous voulons être nommées parbleu, nous disent-elles ! Nous ne pouvons continuer à nous laisser effacer et soustraire de la sorte. Il faut bien que nous nous entendions. Et que nous nous lisions. Comprenez-vous ? A l’aube d’un 21ème siècle humain et juste, il faut bien que nous retroussions nos jupes et nos sous-tifs à la Manif ! Palsembleu, il est plus que temps. Le petit chat est mort. Jusqu’ici tout allait bien. Epouser une sotte pour n’être point sot, nous disait notre ami Molière. Certes. Tolérance du siècle pour une règle poussiéreuse et discriminatoire à souhait. Messieurs les académiciens, soufflez vos bougies, ce seront les dernières. Notre siècle, le 21ème, ne peut plus avoir mal. Pour lui, tolérance zéro. Le 21ème doit s’ériger au-dessus de l’Office des Mots. Je dirai même plus. Il se doit d’exterminer les vaguelettes rouges sous les mots des femmes qui saignent. Autrice l’a bien perdu, nom de nom ! Il en a fallu du temps. Que d’autres la suivent ! Si laide et imprononçable qu’elle devienne, la Langue se doit de paraître telle, du moins jusqu’à son adoption par toutes et tous. Les statistiques sont accablantes, nous dit-on, mais je suis certaine qu’une fois sortie de son étrangeté et de sa nouveauté, elle ne sera plus perçue comme lubrique ou frivole. Car elle sera comprise comme riche et nécessaire. Cette Langue n’oubliera plus Marie, Suzette et les autres, et tout le monde lui en saura gré ! Alors au diable les épicènes, point-médian et doubles flexions ! Si c’est par là que nous devons en passer, enfonçons-nous y jusqu’au cou·illes. A corps et à bras levés, verges et vagins, nous serons vainqueurs et vainqurices, ensemble. Non pas vainqurices sur les mots, mais sur les maux. Stigmatisation, exclusion, injustice et autres débilités d’effaçage des mémoires par le plus terrible des crimes : la non-nommance ! Car c’est bien de cela qu’il s’agit. Et cela, Molière l’avait bien compris, le bougre. Si vous êtes des sots, messieurs, ne nous entraînez pas dans votre sottise, et laissez-nous accorder notre victoire au féminin. Une victoire sur des séniles apeurés par le changement.  Une victoire sur des bicornes aveuglés face au pouvoir des symboles.

Ce qui n’est pas nommé n’existe pas. Et notre combat n’est plus de vous quémander nommez-nous. Oh non, nous n’en sommes plus là, ma foi. Notre joie et notre force est de rugir dans le haut-parleur qu’à partir de maintenant nous nous nommerons nous-mêmes ! Et peut-être bien que pour couronner notre nouveau sacre, nous le placarderons sur des A4 blancs à flanc de mur. Plaît-il , vous dites ? Vous les effacerez de vos salives putrides? Faites-donc, messieurs les cracheurs ! Nos sorcières Scribouilles et Citrouilles détiennent la formule magique de l’Encre Invisible n° 21. Le principe actif est simple ; toute écriture censurée sera rendue visible par notre révélateur universel. Les mots souillés et tronqués par vos langues noircies réapparaîtront sur les murs de vos liseuses et de vos maisons. Notre Victoire se conjugue à présent au féminin, pas contre vous, messieurs les caleçons longs, mais avec vous. Alors n’ayez pas peur. Main dans la main, sexe contre fesse les jours de pluie quand il fait gris, joue contre larme quand nous serons ému·e·s ensemble, et langue contre langue, toujours,quelle que soit l'époque.

Aujourd'hui et pour demain, embrassons-nous à pleine bouche, quel que soit notre sexe, faisons parler de nous. Erigeons nos lettres contre les coincés-lettrés mal empouvoiré·e·s. ,  Ils veulent sauver la Langue, nous disent-ils. C'est tout à leur honneur. Seulement voilà, mes bien chers frères, la Langue n'a pas besoin de nous. Créee par nous pour nous distinguer des animaux, apprend-on. Foutaises! La corneille annonce sa venue à ses congénères de 37 sons différents. Ne pensez-vous pas qu'au moins un de ces 37 ne nomme son sexe?

La langue ne sera jamais orpheline, puisque c'est nous qui avons besoin d'elle. Nous sommes la langue. En inversion simplifiée, la Langue, c'est nous!

Morne et décevante quand nous nous avachissons dans nos répétitions du quotidien, provocante et régénératrice, comme à l'heure où je vous parle. Vivante, toujours.

Manon, 16 ans me demande : si j'ai besoin d'un mot mais qu'il n'existe pas, ou le chercher, ou le trouver ? Si c'est moi que je cherche derrière ce mot, et qu'il n'existe pas ou plus, est ce que moi non plus je n'existe pas ou plus ?

Comment être sûre de ma propre existence si les mots avec lesquels je veux me définir sont comme les dragons ou les dodos. Disparus, imaginaires, en voie d’extinction, foutus, jamais nés?

Pendant que Manon se fait des noeuds au cerveau, moi c'est ma gorge qui se noue. Un symptôme supplémentaire. Les oreilles qui saignent je veux bien, mais que ça touche à ma respiration, à mon instinct de survie, je refuse!

Je refuse d'être la victime hypocondriaque d'un Office qui ne fait pas son job, Crénom, comme disait Baudelaire. Je refuse d'être la malade vouée à la mort programmée parce que le remède n'existe pas. Bullshit! Le remède existe, il a toujours été là, bien caché au fond du tiroir. Dans d'autres pays, pas plus grands, pas plus puissants que le nôtre, il est même administré depuis la nuit des temps. Le remède est dans la Langue Madame la Ministre. Et nous n'attendons plus que votre politico - labo le labellise, franchise, ou tout ce qui rime avec bêtise. Parce qu'il y a conflit d'intérêts messieurs les jurés. Purée de pois! Quelle vision! J'aperçois une femme à l'audience. Elle aurait elle aussi refusé le médicament. De peur de je cite, livrer notre belle langue française à un péril mortel, elle a voté contre le langage inclusif. Trop coûteux, trop compliqué, trop risqué, pour des bénéfices ineptes, et des revendications ineptes d'une minorité minime. Ca se dit? Comme elle peut être cruelle notre Langue.

De Baudelaire à Charabia il n'y a qu'un pas. Si le lundi elle nous charme par son flegme et sa douce magie, le mardi elle nous flanque et nous rétorque des constitutionnellement de dossiers rejetés refusés parce pas assez dans la case justifiée corsetée. Elle nous assassine avec ses nous sommes dans le regret de et ses contrairement à nos promesses. Avec ses lois du plus noble, elle nous insulte de son absurdité. C'est elle, vraiment la coupable? Non gentilhommes et gentilles dames. C'est plutôt, nous, ses serviteurs qui avons failli dans nos devoirs en oubliant de la servir et en voulant l'asservir. Au nom de quoi? Au nom d'une règle édictée au 17ème. Si vieux, déjà? Et oui Monsieur de Richelieu, nous avons fait du chemin depuis. N'en déplaise à ces testostériles de l'Académie, il est temps d'esponger le souffre et la colle qui engluent vos idées rétrogrades. Le masculin ne l'emportera plus sur le féminin. Entre nous... cette rengaine rébarbative n'a jamais convaincu que vos sires et vos seigneurs moroses et impuissants, que vos bourgeois et vos notables béants d'inconfiance, que vos incontinents de faux savoir et de pouvoir acquis par la plus vile des pratiques : l'auto- attribution. Je disais donc, le masculin ne l'emportera plus. Parce que le féminin ne se laissera plus gommer à coup d'indifférence verbale sur la carte de notre belle Langue française. Je ne suis pas le général De Gaulle, - paix ait l'âme de ce cher Charles, et n'en déplaise aux nostalgiques des grands discours de l'Histoire - mais je lance aujourd'hui un appel. Un appel de lutte et de soutien contre l'oubliescence programmée. Un appel de révolte contre l'oppression insinueuse d'un patriarcat mangeur de mots.

Le hoquet dans vos gosiers me choque messieurs, n'en avez-vous pas honte. je les ai vu ces mots, ils existaient pourtant jadis, et je vous ai vu les manger tout crus. Les gober à pleine gueule jusqu'à en roter de dégoût. Il y en a pourtant un que vous n'arrivez pas pincer de vos crocs, Sage-femme n'a pas fini dans votre bile. Vous n'avez pas su le mastiquer, tout verts Gargantuas que vous êtes. Parce que c'est le seul dont vous ne vouliez pas, peut-être ? Sage-femme, vraiment ? Et pourquoi non messieurs les poilus ? Accoucher un enfant serait une histoire de bonne femme, exclusivement ? Certains bipèdes mâles s'y risquent pourtant. Et qui sont-ils? Des Sages - hommes ? Je ne crois pas. Ils sont l'exception à cette règle immonde et inhumaine. Cette règle ridicule du plus fort. Si vous êtes si forts que vous le dites, messieurs les supermans, soyez galants et laissez-nous le privilège du signifiant. Signifiez -nous avec des armes légales et contractuelles que nos signatures donnent leur bon pour accord, de textes et de pensées plus justes. Parce que c’est bien de notre pensée collective dont il est question. Et si notre pensée est le signifié,  la Langue en est le signifiant officiel.

A la Bastille à présent! Stylos et claviers brandis, coupons la tête aux signifiants qui ne sont plus représentés! Mes camarades, le jour de gloire est arrivée, contre nous de la tyrannie des mots. Fantômes et fantoches, ces mots pleutres et mous qui se cachent derrière des idées aussi obscures que dépassées. 

Des mots qui ne bandent plus parce qu'ils ne savent plus faire la cour aux dames. Des mots qui font rire en demi-molle parce qu'ils refusent de se plier aux lois de leur époque. Epoque qui leur a pourtant appris à tenir la porte aux robes fleuries et à laisser passer devant.

Citoyennes et citoyens, que celui ou celle qui n'a jamais fauté me lance la première pierre. Je suis faite de chair et de sang, et moi aussi j'ai suivi cette règle je l'avoue. Pendant 37 ans. Pourtant je ne l'ai jamais signé ni validé de mon sceau. Je l'ai accepté comme un non choix et j'ai participé à ce grand crime commun qu'est la non-nommance. Par peur me demanderez-vous? Pas vraiment. Par flemme ou par manque d'énergie ? Jamais ! Par découragement et par sentiment d'isolement ? Oui sans doute, très certainement. Mais voilà mes bien chères soeurs oestrogénoises, seules nous étions hier, seules nous ne serons plus demain.

Nos sexes et nos ventres, sont à l'image de nos encriers, ils ne seront jamais vides. Aussi longtemps que des femmes feront naître les bébés, le sens de nos aspirations ne sera jamais vide. Aussi longtemps que le rose granule de notre organe serpent saillant frappera l’arcade humide de notre palais, et qu’il flirtera à coup de mouille derrière la herse de nos dents, nous réclamerons à langue haute. C’est au creux de cet antre chaud que la Reine Langage règne en toute puissance. Pas dans la propagande genrée de vos grimoires pourris.

Alors si nous décidons qu'aujourd'hui que nous voulons être lues et entendues, écrites et décrites, ce n'est nullement à une bande d'intellos sans jarretière d'en décider.

Parce que le nom des rues et de nos identités nous importent, parce que nos salaires, nos culs, nos représentations et nos symboles nous importent, parce que la désignation de nos existences, de nos âmes et de nos corps nous importent, nous refusons les statistiques!  Qui ne sont, entre nous soit dit, plus du tout si accablantes que ça! Les chiffres sont comme les lettres, ils ont une vie propre. Ils sont flexibles, muables. Alors au diable les  stats, les valeurs sûres et les capitaux de bas étages.

La petite chatte n'est pas morte!  Élevons nous au-dessus de nos habitudes encrées et de nos croyances rébarbatives. Marions mon ami Pierre et ma cousine Bertha. Pour le pire et pour le meilleur de la Grammaire. Ou plutôt, laissons les libres de leurs choix, de s'unir et de se désunir, en fonction des verbes et des sujets qui les animent. Au gré des phrases qui les meuvent et des ponctuations qui les oxygénise. Une chose est sûre, Bertha et Pierre n'attendent pas le bus, iels font l'amour. De leur union, est né Iel. Iel est le fruit d'un amour intemporel et indestructible. Iel est le hic qui nous choque, et qui se doit d'être tel, jusqu'à ce que nous l'adoptions, toutes et tous dans nos bouches et dans nos oreilles. 

Dans nos stylets plumes, et dans nos cortex, Iel est l'enfant non désiré du 21èmesiècle, le migrant oro-verbal dont nous ne pourrons plus nous passer. Jusqu'à ce jour futur, où les enfants des enfants de nos enfants nous demanderont à leur tour, les orifices auditifs en sang, d'assassiner une langue déjà morte à leurs yeux, et de donner à Iel des sœurs et des frères de voyage, afin qu’iels fassent route ensemble dans cet incroyable royaume qu’est le Peuple des Mots.